Monnaie virtuelle et monnaie électronique : distinction et encadrement contractuel des porte-monnaie virtuels affectés
ANGLE. – AmazonCoin, BitCoin, iMoney, LindenDollar, FacebookCredits, NikeFuel, Or CandyCrush… De plus en plus de monnaies dématérialisées émergent ou ont existé sur Internet. Dans l’esprit du grand public, leur intérêt réel et leur encadrement juridique restent flous. Néanmoins, les acteurs publics (Ministères, Banques Centrales…) et les entreprises s’intéressent étroitement à ces monnaies. Elles ne répondent cependant pas toutes aux mêmes besoins et ne sont pas juridiquement encadrées de la même façon. L’enjeu est ici d’éclairer le lecteur sur ces différentes monnaies dématérialisées et de procéder à une analyse pratique de l’encadrement contractuel des monnaies créées par des organismes privés.
Éléments de distinction des monnaies dématérialisées
À titre
liminaire, il convient de distinguer la monnaie virtuelle de la monnaie
électronique.
La directive
monnaie électronique définit la monnaie électronique comme
étant « une valeur monétaire qui est stockée sous une forme
électronique, y compris magnétique, représentant une créance sur l’émetteur,
qui est émise contre la remise de fonds aux fins d’opérations de paiement […]
et qui est acceptée par une personne physique ou morale autre que l’émetteur de
monnaie électronique ».
Cette
monnaie électronique conserve un lien avec les monnaies traditionnelles dès
lors que les fonds sont exprimés dans la même unité de compte (ex : euro,
dollar…) et que la monnaie est acceptée par d’autres personnes que l’émetteur
(le porte-monnaie électronique Monéo en était l’exemple le
plus marquant). Cette forme de monnaie se distingue des services de paiement
sans contact (du type ApplePay) dès lors que des unités de compte
sont matériellement stockées sur la carte bancaire. À l’inverse, les systèmes
de paiement sans contact, basés sur la technologie NFC (Near Field
Communication), ne sont que des moyens techniques facilitant les paiements
par carte bancaire.
La monnaie
virtuelle peut se définir comme une unité de compte stockée sur un
support électronique créée par une personne (physique ou morale) et destinée à
comptabiliser les échanges. La monnaie virtuelle n‘est pas une créance sur
l’émetteur et n’est pas émise contre la remise de fonds. Elle se distingue
ainsi de la monnaie électronique. Ces monnaies virtuelles ont pour point commun
d’être définies par une unité de compte n’ayant pas de statut légal, de ne pas
être régulées par une Banque centrale et de ne pas être délivrées par des
établissements financiers. Ainsi, elles ne répondent pas parfaitement à la
définition de la directive précitée.
La Banque
centrale européenne (BCE) distingue trois types de monnaies virtuelles. Le premier
constitue une monnaie virtuelle fermée souvent utilisée dans
les jeux vidéo. La monnaie ne peut être dépensée que dans une communauté
virtuelle bien précise et ne peut être convertie en monnaie légale. Il n’existe
en réalité aucun lien avec l’économie réelle. Seuls des biens ou services virtuels
peuvent être acquis par son biais (ex : World of Warcraft).
Le deuxième
est la monnaie virtuelle avec un flux unidirectionnel. La monnaie
peut ici être achetée directement avec de la devise légale, à un taux de change
défini, mais ne peut être reconvertie en monnaie légale. Celle-ci permet
cependant d’acheter à la fois des biens et services virtuels et des biens ou
services réels (ex : NikeFuel, AmazonCoin, Miles des
Compagnies Aériennes). Ces porte-monnaie virtuels affectés font l’objet de
règles dérogatoires issues des textes européens et ne permettent que des
échanges d’un montant limité. Il s’agit essentiellement de systèmes de
micro-paiement.
Enfin,
la monnaie virtuelle avec un flux bidirectionnel constitue le
troisième type de monnaie au sens de la BCE. Dans ce schéma, les utilisateurs
peuvent convertir leur monnaie virtuelle en monnaie légale. Il existe à la fois
un cours d’achat de monnaie ainsi qu’un cours de revente (ex : Bitcoin).
Ces trois
types de monnaies peuvent être associés par leurs créateurs à des marques. Ces
monnaies, appelées Branded currencies par la pratique, ont
notamment pour objectif de fidéliser le consommateur et de faciliter les
micro-transactions, tout en captant un nouveau marché. L’intérêt de ces Branded
currencies provient notamment de la confiance du public dans ces
marques.
Encadrement contractuel d’une monnaie virtuelle : les clauses récurrentes
La plupart
des plateformes prévoient un encadrement contractuel de leur monnaie virtuelle
par le biais d’un contrat d’adhésion, sous la forme, le plus souvent, de
conditions générales de service.
S’agissant
de l’accès à la plateforme, la sécurité de l’accès à ces porte-monnaie virtuels
est essentielle et doit être garantie par une authentification de
l’utilisateur. Certains éditeurs de plateformes conditionnent l’accès aux
plafonds d’opérations de paiement les plus élevés à une authentification forte
de l’utilisateur. L’accès peut être limité en fonction de la position
géographique de l’individu afin d’éluder les difficultés relatives aux
fluctuations entre les différentes monnaies légales (geoblocking). Des
éditeurs comme Amazon (Amazon Coins) ou Blizzard (porte-monnaie Battle.net)
prévoient un taux de change en fonction de la monnaie légale du pays de
l’utilisateur.
Concernant
la devise elle-même, son statut est le plus souvent strictement encadré.
Certains éditeurs prévoient que cette monnaie ne peut être convertie en monnaie
à cours légal. Non réversible, elle ne peut être échangée avec d’autres
utilisateurs ou ne peut faire l’objet de transferts vers d’autres comptes. Bien
souvent, ces devises ont une durée de validité limitée (12 ou 24 mois). Certains
éditeurs prévoient également de créer une monnaie spécifique à chaque jeu avec
des valeurs faciales indépendantes (ex : plateforme Origin d’Electronic
Arts).
D’autres
éditeurs précisent que le porte-monnaie virtuel n’est pas qualifié de compte de
dépôt et qu’il ne donne lieu à aucun intérêt bancaire. Ce porte-monnaie est en
principe plafonné afin de se conformer aux exigences de la Directive Monnaie
Électronique (V. note de bas de page 7).
Le bénéfice
du droit de rétractation prévu par le Code de la consommation est souvent exclu
de ces plateformes. En effet, l’achat de monnaie virtuelle constitue une
fourniture d’un contenu numérique non communiqué sur un support matériel (C.
consom., art. L. 121-21-8, 13°). Cette exception nécessite toutefois
« un accord préalable exprès du consommateur et un renoncement exprès à
son droit de rétractation ». Cette renonciation ne doit donc pas
simplement figurer dans les conditions générales de la plateforme mais doit
apparaître clairement lors de l’inscription sur la plateforme ou lors de
l’achat de devises.
Enfin, il
est parfois précisé sur ces plateformes que l’achat de monnaie virtuelle se
traduit par l’octroi d’une licence d’utilisation limitée et révocable. Le
devenir de ces monnaies, en cas de résiliation du contrat ou de dépôt de bilan
de l’éditeur d’une plateforme, est donc plus qu’incertain. En droit français,
cette clause pourrait être qualifiée d’abusive.
Avantages de la monnaie virtuelle pour une entreprise : intérêts financiers et arguments commerciaux
Les intérêts
financiers sont non négligeables pour l’entreprise. Inciter les clients à
réaliser leurs transactions dans la monnaie virtuelle « home made »
permet de limiter le volume de transactions bancaires et notamment les
micro-transactions par d’autres moyens de paiement générant des commissions.
Lors d’un achat, les unités sont utilisées directement, la banque n’intervient
pas dans la transaction et n’opère pas de prélèvement sur les comptes bancaires
à chaque fois. Cette technique permet ainsi de réduire le montant des
commissions bancaires de façon non négligeable. L’entreprise réduit ainsi sa
dépendance aux établissements bancaires (banques mais aussi émetteurs de cartes
bancaires tels que VISA ou MASTERCARD…).
Des
arguments commerciaux peuvent aussi être avancés pour inciter l’usage de cette
monnaie. Pour les parents d’enfants mineurs, un porte-monnaie virtuel plafonné
et affecté à une plateforme spécialisée dans les contenus jeunesse
constituerait un bac à sable sécurisé et donc un vecteur de confiance. En
outre, la fidélisation du client est également un atout non négligeable pour
les entreprises.
À l’inverse,
les monnaies virtuelles souffrent de certains maux non négligeables. Elles
pourraient rendre les consommateurs « otages » des plateformes
concernées et générer une perte de repères. En effet, les personnes sont de
moins en moins conscientes des sommes effectivement dépensées, notamment les
mineurs. Il appartient donc aux éditeurs de ces plateformes d’assurer, en
toutes circonstances, une rigoureuse transparence vis-à-vis de leurs clients
dont la confiance est la clé de voûte de ce système.
Source : Raphaël RAULT, Avocat chez Capon & Rault Avocats



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